16 juillet 2007

CHAPITRE II
"Internet comme un espace de communication politique"

II. LES WEBDOCTORS ANIMATEURS

A. ECHANGER



1. La décentralisation des idées

L’exemple Howard Dean

En 2004, Howard Dean était candidat aux primaires démocrates aux Etats-Unis. « Petit » prétendant, il avait au début de sa campagne réuni 300 000 dollars et six personnes dans son QG pour s’attacher à la conquête de la présidence américaine[1]. Ce n’était pas grand-chose au regard des autres candidats, dont John Kerry, qui mobilisaient des sommes et des équipes généreuses. Il n’avait donc pas accès aux spots télévisés, ni aux autres médias de mass. Il s’engagea ainsi sur Internet. Sur le site meetup.com, forum de discussions, l’équipe a réussi, grâce à des systèmes de liens hypertextes à créer une communauté, sans liens hiérarchiques, autour du programme du candidat. En janvier 2003, 432 militants étaient inscrits. Une auto-organisation était en place. Les adhérents échangeaient des informations sans passer par les conseillers de campagne. Sous cet effet, le site Meetup.com décida d’accompagner plus avant le candidat et a commencé à organiser des réunions publiques.

Le succès fut tel qu’il était impossible pour l’équipe de campagne de garder la main sur ces réunions et décida d’accorder aux militants le fait de l’organiser par eux même et pour eux même. Le discours du candidat était donc interprété, accommodé par les sympathisants qui prenaient l’initiative. Le programme appartenait aux militants. Howard Dean, conscient qu’il touchait une nouvelle génération d’électeurs, insista de son côté sur les thématiques de l’idéalisme, de l’injustice et l’ensemble des sujets propres au mythe Internet, porté par le slogan « vous êtes le pouvoir ! ». Il créa le premier blog participatif de campagne[2] puis la première WebTV. En Août, Les sondages d’intentions de vote le donnaient gagnant. Le phénomène de décentralisation battait son plein. En novembre, La communauté Meetup concernait désormais 140 000 personnes. 800 réunions étaient organisées par mois par les militants. Les dons prirent une dimension étonnante puisqu’il fini par récolter plus que ses concurrents, 50 millions de dollars, un record à l’époque pour des primaires démocrates américaines.

Et pourtant, il a été battu. Il a été impossible pour Howard Dean de se réapproprier le discours dans la deuxième partie de campagne. Les critiques évoquaient l’inconstance des positions du candidat. La décentralisation des idées avait trouvé ses limites face à la cohérence d’un discours descendant.

Cet épisode a mis en évidence quelques grandes lignes de ce que pourront être les Netcampagnes à l’avenir. Pour profiter de toute la puissance du Web, il faut accepter de relâcher un temps le contrôle de la communication. Aux États-Unis, on parle de mouvement bottom-up ou grass root, un principe basé sur le fait que les idées remontent de la base et se consolident peu à peu dans une logique participative. Le candidat peut créer une structure d’échange que les internautes sont prêts à utiliser. Pourtant, comment convertir cette force citoyenne, et cette participation polyphonique en une communication descendante et contrôlée, essentielle à la personnalisation et la légitimité du candidat ? Comment faire la synthèse des milliers d’interventions spontanées ? Comment bâtir à partir de cela un programme cohérent ?

2. De Porto Alegre aux Web2.0

D’aussi loin que les démocraties existent, la place du citoyen dans la cité a toujours été l’objet de débats intenses. En France, les cadres de la démocratie représentative octroient, sauf exceptions, un pouvoir décisionnel aux deux assemblées, assemblée nationale et Sénat. L’expression citoyenne politique passe donc par le vote de ses représentants, pour sanctionner ou confirmer un pouvoir. Certes, la parole et l’action peuvent prendre d’autres formes : entreprises, associations, syndicats (…), mais les citoyens demeurent peu consultés sur la gestion de l’Etat ou des collectivités locales.

Au Brésil, à Porto Alegre, ville d’un million trois cent mille habitants, l’exécutif a élaboré avec les citoyens le projet de budget municipal et plus largement les politiques publiques. Il existe ce qu’il est désormais convenu d’appeler une véritable expérience de cogestion entre l’exécutif et les habitants, dont l’un des résultats est le processus du budget participatif. Forte de son expérience, la ville a décidé de pousser en avant ses idées et crée le forum social mondial. L’ensemble des forces politique internationales se fait représenter à ces réunions massives qui ont largement gagné leur légitimité. « Il peut paraître logique que les Verts, en mettant l'accent sur leur origine alternative, se déclarent en phase avec les altermondialistes. Le PC dit également s'y reconnaître sur ce qui est de l'anticapitalisme. Mais le PS, l'UDF et l'UMP ne sont désormais plus en reste. Ces partis ont nommé en leur sein des responsables à la mondialisation. Tous émettent des critiques sur les excès de la mondialisation libérale et se disent désireux de réduire les inégalités économiques internationales. Ils proclament leur exigence de donner une dimension sociale à la mondialisation.
[3]» Ces forums sont devenus une tribune internationale du lobbying en direction de démocraties éthiques et participatives.

De fait, au Brésil comme en France, il n’y a aucun obstacle juridique à ce que l’exécutif organise un processus décisionnel ouvert aux citoyens. Rien n’interdit qu’un maire français et son équipe s’intéressent aux propositions faites par les administrés et les intègrent à leurs propres projets de gestion locale. En France, cette évolution a d’ailleurs commencé à s’opérer au niveau local dans les années 1960 avec les Groupes d’action municipal – GAM -. Elle s’est poursuivie avec le renouvellement constitutionnel de la Ve République, puis avec la loi sur l’administration territoriale de 1992, qui prévoit « la démocratisation de la vie locale » et « la participation des habitants ». Elle se poursuit encore par les lois sur « la démocratie de proximité »
[4]. Malgré cela, les Conseils de quartier, les consultations des associations, les débats publics demeurent souvent consultatifs et prennent rarement la forme d’intégration des habitants à la décision politique.

Les pratiques de cogestion de Porto Alegre souhaitent apporter un nouveau souffle démocratique, répondre à la crise de représentation des hommes politiques et à la décrédibilisation de la parole publique. Cette tendance à la participation est théoriquement reconnue par les citoyens, par certains courants politiques et surtout, par les internautes sensibles à l’intercréativité.

Car nous l’avons vu dans le premier chapitre, Internet draine avec lui les symboles d’une organisation démocratique nouvelle. Il émane du réseau ce nouveau rapport direct au pouvoir, cette réduction de la barrière entre information et action, et des fonctionnalités autorisant les processus d’intelligences collectives. L’exemple d’Howard Dean ou l’expérience française initiée par Etienne Chouard durant la campagne pour le référendum européen, en 2005 oblige les hommes politiques, malgré le faible pourcentage de participation active sur le Web – cf. les conditions de l’agora médiatée, chapitre I -, à inclure dans leurs agendas Internet l’échange avec les citoyens. Toutes les maisons mères des Netcampagnes avaient durant les présidentielles de 2007 intégré une fonctionnalité participative.

3. Le site intercréatif

De deux volontés différentes peuvent émaner un projet électoral collectif. La première, essentielle pour les candidats, est d’avoir un feed back instantané de l’opinion des sympathisants. Plus efficace que les sondages, le public participatif, souvent plus âgé que la moyenne des internautes
[5], répond et échange ainsi à propos des propositions du candidat.

Il s’agit pour la seconde de mettre en place une stratégie participative, qui revient à instituer la participation citoyenne au coeur des politiques publiques. Il s’agit là d’un projet politique. Au sein des partis, cette méthode a toujours été utilisée. Situation de délibération interne, de communication entre les militants, aller-retour entre les fédérations locales et le siège parisien sont les conditions démocratiques d’action d’un parti politique. Nous étudierons ainsi, pratiquement, les démarches intercréatives sur le Net, proche de la seconde méthode. La première étant une déclinaison moins avancée du processus, mais qui réclame techniquement les mêmes fonctionnalités que la seconde.

a. Les communautés de savoir
[6]

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent, une démarche intercréative ne concerne pas tous les internautes mais près de 11% d’entre eux, filtreurs et interprètes. Dans un temps électoral, ces derniers sont extrêmement polarisés. Il s’agit ici de forces volontaires, de cyberactivistes, de militants qui souhaitent s’impliquer dans la vie politique au travers du Web, dans une dynamique collective, un projet « alternatif » à la démocratie représentative. Ces communautés partagent en commun un intérêt pour un thème. L’objectif de ces groupes est à la fois l’acquisition de connaissances, mais aussi la résolution de problèmes spécifiques.

Pour qu’une communauté existe, il faut que des identités collectives y soient associées et reconnues. La communauté est donc ouverte à ceux qui en partagent les objectifs et les codes de comportement, mais cela implique parfois une tolérance limitée pour les hors-sujets et les « intrus ». « De même, dans un espace social, une norme ou une institution doit présider à la rencontre
[7]». La création d’une communauté de savoir implique indispensablement la mise en place d’un corpus de règles.

Enfin, les contributeurs trouvent dans la participation un intérêt personnel pour la thématique mais aussi parfois une volonté d’acquérir une réputation. Au sein de cette communauté, la reconnaissance individuelle prend la forme d’un noyau d’experts, interfaces entre l’information et l’action. La motivation des participants passe ainsi par la prise en compte des velléités individuelles, le plaisir et l'apprentissage. La réciproque pour le politique à la mise en place de ces communautés de savoir est la transparence et la proximité.

b. Les conditions de réussite d’un projet intercréatif

L’altruisme n’est pas un comportement universel. Les sites intercréatifs devront façonner un environnement favorable à la mutualisation des efforts, inciter et faciliter le passage à l’acte par la réconciliation de l’intérêt individuel et collectif. Proposer une méthode de gestion de projet basée sur la coopération volontaire, c'est aussi proposer des règles pour façonner en continu un environnement favorable à la coopération.

Multiplier les possibilités d’intervention

Réduire les besoins de départ
Si le projet collectif a trait à une participation citoyenne ouverte, la première règle est de réduire les besoins de départ. Il faut abaisser au maximum le seuil du passage à l'acte par la simplicité et la réactivité de l’outil. La démarche ne doit pas représenter un coût financier pour l’utilisateur, ni une contrainte temporelle : en terme d’implication et de délais. Ainsi, théoriquement, une organisation intercréative ne doit pas comporter d’objectifs datés, ni d’objectifs déterminés à l’avance. Donner du temps permet en effet de maximiser les opportunités et de « laisser mûrir les relations » entre tous les intervenants pour créer les conditions d’un échange honnête et ouvert.

Réduire les objectifs
Trois contraintes apparaissent à l’élaboration d’un projet délibératif : quantitatives, qualitatives et temporelles. En cas d’objectifs trop affirmés sur ces trois tableaux, il est difficile d’obtenir un résultat. L’échange n’apporte pas systématiquement de points de convergence. De même, il faut tenter de minimiser au maximum la barrière des risques perçus par l’utilisateur. Il peut paraître par exemple paradoxal de demander à tous les citoyens d’avoir un discours politique brillant. En effet, les contributeurs interviennent par l’expression de leurs expériences professionnelles, engagement social ou politique mais également avec leurs vécus personnels de citoyen, avec leurs différences et appartenances culturelles, politiques, religieuses, sociales, avec leurs difficultés à se positionner et leurs réussites. L’espace de dialogue doit pouvoir accueillir tous ces profils. L’objectif ne doit pas faire peur, et le débat doit pouvoir accorder une place aux opinions minoritaires, car, la volonté du projet est aussi de rompre cette fameuse spirale du silence. Ainsi, aux animateurs de tirer le meilleur de chaque intervention et de donner l’impulsion aux internautes de rebondir sur chaque forme de participation.

Cela apparaît comme un véritable dilemme dans le cadre d’une élection présidentielle qui nécessite une expertise élevée des enjeux politiques, économiques, géostratégiques, sociaux complexes. Par contre, dans le cadre de suffrages locaux, l’objectif de réorganisation de la cité semble plus accessible à chacun, car elle nécessitera une expertise plus pratique de la vie quotidienne. C’est notamment le cas de l’expérience de Porto Alegre qui implique à l’échelon municipale la population.

Une solution retenue, afin de réduire l’ambition des objectifs, est souvent l’organisation de fora thématiques. La constitution de groupes de travail, plus petits, où chacun pourra traiter de sa spécialité ou de son intérêt pour un sujet particulier, permet à la fois l’intelligibilité des communications et une meilleur intégration des participants à une communauté.

Prendre en compte les intérêts individuels
L’expérience montre que lors d’une rencontre, certains viennent consommer de l’information, des idées, des techniques, d’autres viennent diffuser leurs propres convictions, d’autres encore viennent partager, échanger. Cela rappelle les trois typologies d’acteurs de la participation sur les fora : « passeurs », « filtreurs » et « interprètes ». C’est pourquoi ces trois acteurs de la participation devront trouver sur le site un cadre de réception et faire état d’un traitement particulier de la part des animateurs. Souvent, pour attirer des contributeurs et apporter la reconnaissance personnelle nécessaire à la motivation des participants, on leur propose un « titre » et une fonction au sein du projet. Chacun de ces statuts donne ensuite droit à d’autres formes physiques de reconnaissance comme l’invitation à des rencontres, réunions d’information et aux différents événements de la campagne.

Mais finalement, pour mobiliser des contributeurs, il faut réussir à donner du sens au projet collaboratif, dépasser le cadre participatif théorique pour l’intégrer à l’action politique. Lorsque ce dernier se situe dans un cadre électoral, les initiateurs doivent faire ressentir à la communauté qu’ils sont au cœur d’une nouvelle forme de délibération et répercuter les interventions dans le discours politique. On doit retrouver cette volonté dans les propositions du candidat, dans la mise en avant de témoignages lors des discours et de meetings, dans des réponses aux écrits marquants par des vidéos sur le site mettant en scène le candidat, dans les slogans de campagne : « vous êtes le pouvoir » de Howard Dean ou « demain ne se fera pas sans vous » de la Ségosphère de Ségolène Royale… Bref toute la publicité qui sera faite autour du site et de ses contributeurs fera force de reconnaissance du travail accompli.

Modération
L’objectif des modérateurs est d’instaurer un climat de confiance et une éthique dans la discussion pour que le processus du « faire ensemble » aboutisse à des résultats, une théorie de l’action. La coopération nécessite un cadre établit, un contrat écrit entre les organisateurs et les contributeurs. Cette charte ou cahier des charges définit les conditions de l’expression, l’objectif du projet et la chronologie. Ainsi, les modérateurs expliquent à l’avance les modalités de leurs interventions, le début de la démarche et la fin temporelle de la participation. Ils sont les garants de la transparence du projet, indispensable à la motivation des contributeurs.

Il existe trois étapes de modération. Il s’agit dans un premier temps de mettre en commun les attentes des citoyens autour du projet. Ceci ne se fait pas sur le site, mais au sein des équipes de campagne. Les conseillers imaginent en fonction du sens qu’ils veulent donner à la démarche, les grandes catégories de thématiques qui seront abordées durant la campagne. Ensuite, toujours au sein des états majors, les animateurs précisent les sujets ou les développent - un rôle d’un expert -. Puis, enfin, ils ouvrent le débat dans lequel les participants entreront plus aisément.

Une fois en ligne, les débats relativement cadrés sont susceptibles de fortement évoluer par la volonté des internautes. Les modérateurs naviguent ainsi à vue pour essayer de conserver une cohérence à l’ensemble et permettre à la discussion de rebondir. Cela prend la forme d’interventions spontanées suite à un témoignage intéressant, de bilans d’étapes, mais aussi parfois de censure.

Le site, ouvert à tous par définition, l’est aussi aux opposants. Le temps électoral est pour chacun un temps de lutte et de combat pour l’affirmation de ses idées. C’est pourquoi le site est régulièrement pris d’assaut par les opposants qui distillent leurs argumentaires, soit de manière agressive soit de manière plus discrète. Cette deuxième forme de communication en douceur est très difficile à gérer. En effet, l’idée du projet délibératif est d’accorder à chacun sa liberté de parole et de donner de la légitimité aux opinions minoritaires. Le résultat d’un travail collaboratif doit aboutir à quelque chose de nouveau, permettre de décloisonner une parole partisane pour en extraire de nouveaux sens. Il est donc très encombrant de voir apparaître ces participants, sans pouvoir véritablement les gérer, sachant qu’ils ne sont pas inscrits sur le site pour échanger.

La vie de l’animateur est ainsi faite de gestion de conflits propres aux temps électoraux et d’indispensables qualités de ressources humaines qui permettront aux débats de rebondir. Le site Désirs d’avenir de Ségolène Royale avait mis en place une structure de près de 70 modérateurs bénévoles pour gérer l’afflux des quelques 135 000 contributions. Chacun avait un rôle, une fonction particulière, ce qui confirme la difficulté et l’importance que les partis politiques accordent à la maîtrise des débats sur le Web, lorsqu’ils s’inscrivent dans un projet politique.

Des relais de terrain
La citoyenneté est affaire de territoire. La politique également. Les militants dans les partis sont inscrits dans des fédérations régionales et des sections locales. Cette structure déconcentrée permet à l’organisation de se rapprocher des citoyens et de s’imprégner des différentes identités locales. Dans les temps électoraux, ces lieux se font relais de la communication. Affichage, tractage, organisation de rencontres et de meeting, les candidats officiels peuvent s’appuyer sur ces « contingents » de militants motivés. Un projet politique participatif suscite l’engagement des différentes forces dans la démarche. Dans le cadre de l’exemple français de campagne participative, des comités locaux « désirs d’avenir » se sont implantés, parallèlement aux fédérations dans l’ensemble des régions. Ils ont été proactifs, ont développé des sites Web ou des blogs, ont organisé des rencontres, des débats participatifs. Ils ont eu pour fonction de faire la synthèse locale des échanges.

Ces comités sont essentiels. La nomination de « chefs d’équipes » locaux permet de soutenir sur le terrain la dynamique participative du site Web. Ce sont par exemple près de 6200 comptes rendus de réunion qui ont ainsi été envoyé au siège de la campagne de Ségolène Royale par ces organisations. Enfin, ces soutiens sont également, sur le réseau, des sources multiples d’interconnexion à la maison mère, en France comme à l’étranger.

La synthèse
Comme il était indiqué précédemment, théoriquement, une démarche intercréative fonctionne si elle n’a pas d’objectifs datés, d’objectifs quantitatifs ou qualitatifs trop importants. Néanmoins, dans le cadre d’une campagne électorale, la vocation du projet est définie au départ, un contrat entre le candidat et les contributeurs : de simples réactions ou commentaires, à l’écriture du projet, un projet de démocratie participative. Dans ce deuxième cas, la synthèse est l’exercice le plus délicat de la démarche. Elle est l’étape intermédiaire entre le temps de l’échange et le temps de la communication descendante, celui de la présentation du travail au grand public. A la fois, il ne faut pas que les contributeurs se sentent déchus du projet et, dans le même temps le programme politique doit gagner en cohérence, trouver des arguments clés, voir un USP. Cette synthèse doit se faire au quotidien, par des experts compétents. Elle mobilise beaucoup de forces et doit être mené dans un temps très court pour ne pas perdre de dynamique dans la campagne. Toutefois, c’est bien un projet politique raisonné, utile, pertinent, complexe qui doit trouver là son aboutissement.

Les deux exemples de campagne présidentielle participative, française et américaine, se sont fortement heurtés à ce temps de synthèse. Dans le cas d’Howard Dean, la structure a été complètement dépassée par les événements. Déficit de programmation de la problématique de décentralisation du discours et incapacité de réappropriation des messages par le candidat sur la fin de la campagne ont été fatal à l’avenir électoral du gouverneur. En France, Ségolène Royale, forte de cet exemple avait mis de son côté l’équipe nécessaire à la synthèse. Les cahiers d’espérance, résultats des échanges ont été publiés au mois de février par son staff. C’est un document de synthèse de 680 pages qui a, selon Benoît Thieulin, directeur de la Netcampagne socialiste, aidé l'équipe de campagne à formuler un diagnostic «sérieux » sur la situation du pays. Un livre classé par thème qui reprenait textuellement les interventions des contributeurs du Web et des débats de terrain. Il n’a pas proprement servi à écrire le programme mais a contribué à faire remonter certains sujets clés tels que la remise en cause du fonctionnement de la carte scolaire notamment. Selon un sondage publié par Libération le 9 février 2007, 62 % des Français estiment que les débats participatifs ont fait « émerger de bonnes idées ». Néanmoins, il y a eu une sensible dichotomie entre les propositions du programme et l’espoir qui avait été formulé par les militants socialistes en direction de cette nouvelle organisation politique. Finalement, cette expérience participative de la candidate n’était pas révolutionnaire en soi puisqu’elle conservait la maîtrise sur son programme. L’intercréativité avait trouvé sa limité dans le champ électoral.

La chronologie
Un projet participatif se déroule en trois ou quatre phases. D’une part, le temps d’écoute et d’expression. Il doit être suffisamment long pour permettre aux différentes relations qui s’instaurent par l’échange d’atteindre une certaine maturité. Ensuite, un temps de production de la synthèse. Ce temps peut comprendre une troisième phase d’aller-retour avec les contributeurs afin de poursuivre l’usage intercréatif du projet et d’impliquer les citoyens jusqu’à la production finale du document. Cette étape pourrait éventuellement correspondre à un vote d’approbation. Et enfin, une dernière phase s’apparente à un travail des équipes de campagne pour déterminer les points clés du projet, la stratégie de restitution.

En conséquence, un projet participatif s’élabore sur un temps long, qui n’est pas celui d’une campagne. Cette chronologie comporte deux moments critiques, en décalage avec les nécessités du combat électoral. D’une part, le « temps d’écoute » est un temps qui ne permet pas la présence médiatique, puisqu’il est par définition un moment de réflexion, lorsque les médias sont déjà entrés dans le jeu de l’élection. Dans le cas de Ségolène Royale, le mois de janvier 2007 a été le moment clé de sa défaite. Alors qu’elle était en phase d’écoute, son adversaire principal faisait des meetings géants, était présent sur tous les canaux médiatiques et faisait attaquer sévèrement la candidate par ses collaborateurs. Quand au début du mois de janvier, les deux candidats étaient au coude à coude, à la fin du même mois Nicolas Sarkozy avait quatre points d’avance dans les sondages
[8]. Ensuite, une synthèse rapide de milliers de contributions, pressée par le temps du marketing politique, ne peut être que décevante. Enfin, la mise en place d’une stratégie de campagne, les relations presse, l’élaboration de l’agenda, l’écriture des mots de la campagne, des slogans (…) doit elle aussi prendre le temps de la réflexion.

Pour conclure, les expériences de démocratie participative montrent que cette démarche n’est pas adaptée aux temps des campagnes et plus pertinente pour des expériences locales. Toutefois, ce discours répond à une attente des internautes actifs qui ont, les deux fois, massivement plébiscité leur participation. Il possède parallèlement de réelles vertus électorales. La maîtrise de la chronologie sera essentielle pour les prochaines expériences intercréatives : donner le temps à la consultation, à la construction et à la préparation de la communication du programme hors des temps électoraux.

c. Les risques d’une campagne participative

Tout d’abord, le premier risque est de ne pas réussir à faire aboutir la démarche en terme quantitatif, qualitatif et temporelle, ou pour l’équipe, d’être dépassée par les événements. Une démarche participative est une aventure qui ne permet ni de savoir à l’avance le sort qui va lui être réservée par les internautes, ni la qualité que les débats susciteront. Sur le plan quantitatif, il est vrai qu’une campagne présidentielle mobilise presque automatiquement l’ensemble des forces partisanes. Mais ce n’est pas forcément le cas des autres scrutins locaux ou européens. Quant au résultat qualitatif, il est incertain. Le sujet de la synthèse est central. Mais comment construire un programme à partir de contributions maladroites, de débats envenimés par l’enjeu sans verser dans le discours populiste ? Certes, une campagne participative bien maîtrisée intègre toutes les composantes sociales de la société, dont les « experts » sympathisants qui apportent de la matière et un niveau suffisant d’analyse. Mais comment intégrer tous les autres témoignages dans un cadre programmatique ? Du candidat et de ses représentants dépendront la réponse.

Cette question structurelle de la démarche est un argument fort des adversaires à ce projet politique. Si il apparaît comme un véritable projet de rassembler, de dynamiser et de transformer le lien entre politiques et électeurs, de rapprocher les citoyens des centres décisionnels, la personnalisation du combat politique et la légitimité d’impartialité semblent s’étioler au profit d’un collectif. Ainsi, la réponse formulée par les adversaires de Ségolène Royale à son projet montre, que malgré la réussite d’une organisation intercréative, une argumentation proche du procès en incompétence et de la démocratie d’opinion peut facilement déstabiliser une stratégie décentralisée.

Enfin, sur un plan stratégique, une campagne participative sur le Web est une campagne transparente. Elle accorde donc un formidable terrain d’analyse des discours d’un camp à ses adversaires. Si la stratégie s’applique ouvertement, les concurrents peuvent préparer à l’avance leurs argumentaires. Il est donc difficile de mettre en place des effets de surprise ou des rebondissements, de donner du rythme à la campagne sans s’exposer aux attaques venues des autres prétendants.


B. MOBILISER

1. Intégrer les nouveaux espaces du militantisme
Un enjeu stratégique des Netcampagnes, usant du potentiel décentralisé du Web, est la possibilité de revoir l’organisation des équipes de campagne en sollicitant des collaborations extérieurs et en instaurant des groupes de projets autonomes régis par des bénévoles.

Deux objectifs apparaissent alors pour les WEBDOCTORS. Le premier consiste à mobiliser des forces dans le cadre de la campagne « off line ». En ce cas, ils mettent en place sur le Net des outils de communication interne à destination des militants pour organiser cette dernière sur l’ensemble du territoire. L’instantanéité des échanges et la force mobilisatrice du Web offrent la possibilité d’intégrer aux organisations de campagne des dispositifs particulier qui vient doubler les compétences des fédérations et des sections des partis, à destination du public internaute. Cette forme ne vient pas contredire une mécanique intercréative mais s’adresse à d’autre formes de participation politique sur la Toile et se développe dans le temps du combat électoral le deuxième temps, celui de la représentation du candidat unique. Il est un concept centralisé de communication qui permet de conserver la maîtrise des événements par « l’Etat major ». Mais surtout, il a le projet de transformer les engagements « virtuels » et distanciés en des engagements individuels, affichés et physiques.

Le second objectif apparaît comme moins engageant pour les internautes mais tout aussi stratégique. Il s’agit de convaincre les utilisateurs du Web de la légitimité socio-procédurale du candidat, soit, de sa compétence à réunir une majorité. La conséquence de ce dessein est d’interpeller, par le fait du nombre, les internautes « bienveillants » et les indécis dans un processus bandwagen[9]. C’est un objectif de visibilité, une bataille d’UBM – unité de bruit médiatique - et de présence sur la Toile pour les WEBDOCTORS. Car il faut réussir à faire émerger la communication officielle des 60 milliards de pages existantes[10] et des dizaines de millions de pages créées par jours. Le nombre des ressources disponibles sur Internet est en constante augmentation : Pour cela, ils utilisent des méthodes pour inciter « filtreurs » et « interprètes » à agir en faveur du candidat et tisser une toile compacte au sein de la blogosphère. Afin de s’acquitter de ces deux objectifs, ils doivent en premier lieu s’attacher à créer des communautés de pratique.

2. Des communautés de savoir aux communautés de pratique

La création de communautés de pratique par les équipes de campagne vise à associer des internautes polarisés à l’action de conviction. « Une communauté de pratique, ce n'est pas qu'un site web ou une base de donnée. C'est un groupe qui interagit, apprend ensemble, construit des relations, et à travers cela développe un sentiment d'appartenance et de mutuel engagement.
[11] » Ces groupes ont un fonctionnement de réseau. Ils sont fédérés autour de centres d’intérêts, de projets ou de défis communs. Ainsi, ils coopèrent et échangent leurs savoirs pour créer de la valeur. Ces communautés permettent, par la compilation des connaissances individuelles, la multiplication des échanges et l’optimisation des processus de production. Elle fonctionne indépendamment, sur le principe du volontariat et de l’intérêt individuel de ses membres. La motivation de ces individualités se place donc sur le registre de la volonté relationnelle, une recherche du contact et de nouvelles expériences.

Les WEBDOCTORS se positionnent ainsi comme des facilitateurs et non des directeurs de projet. Ils s’attachent à impulser ces modes de coopération libre. Tout d’abord, ils s’assurent qu’une culture commune se développe entres les différents membres. Ensuite, ils permettent à chacun de tisser des liens avec les autres en mettant en place des outils communs, tout en valorisant les différentes formes de participation. Enfin, les WEBDOCTORS donnent le rythme des contributions par le fait de fournir de l’information ou par la création d’événements.

Dans le cadre d’une campagne politique, il est possible de demander à ces communautés, ces « comités de soutien », de remplir des tâches simples : manifester officiellement leur appartenance, tenir des blogs à jour, organiser une diffusion virale d’informations calibrée par les équipes de campagne, recruter de nouveaux membres, organiser des rencontres (…).Les participants, bénévoles et volontaires, n’auront pourtant pas la même envie ou possibilité de s’impliquer dans le processus politique. Tout comme il existe des passeurs, des filtreurs ou des interprètes, les cybermilitants choisissent les fonctions qu’ils souhaitent remplir. Les équipes de campagne se sont adaptées à ce phénomène en intégrant ces trois modes de participation et appliquent des méthodes pour fournir des contenus différentiés à chacun. Par exemple, l’équipe de Ségolène Royale, dans le deuxième temps de sa campagne, celui de la restitution du programme participatif a mis en place l’organisation suivante : en trois jours, 12.000 militants - sur 220.000 inscrits au PS - se sont inscrits comme contributeurs à la Netcampagne socialiste. Ces e-activistes pouvaient choisir d’intervenir selon trois modalités : devenir des "colleurs d'affiches sur le web" – des « passeurs » -, des "tchatcheurs", qui devront relayer les messages du PS dans les fora de discussion – l’équivalent de « filtreurs » ou d’« interprètes » - ou encore des "mondains", qui apportent des contacts et ouvrent leurs carnets d'adresses.

3. Le troisième cercle

Les candidats accompagnent ou sollicitent les militants pour créer une structure organisée sur la Toile, qui permet de soutenir les démarches de la maison mère et du deuxième cercle dans l’objectif d’informer et de rendre visible. Emerge ainsi de ces actions un territoire homogène fortement hiérarchisé, de « non-contestation », et vecteur de la communication politique officielle.

L’organisation d’une Netcampagne sur le Web est polycentrique : une structure pyramidale d’une part, constituée de la maison mère et du deuxième cercle puis d’une caisse de résonance à ces messages, constituée de nombreuses individualités et forces militantes, le troisième cercle. Au cours de la dernière élection présidentielle, sur la blogosphère, s’est instauré une véritable bataille de territoire : « nous voulons lever une armée de militants numériques », affirmait Vincent Feltesse, secrétaire national adjoint du PS aux nouvelles technologies », au début de l‘aventure désirs d’avenir. Cela consiste à demander aux « interprètes », aux « filtreurs » et à certains « passeurs » de créer des sites, des blogs, des espaces sur les réseaux sociaux, qui sont les relais de la communication officielle à destination des propres réseaux de chaque entité. Ces espaces opèrent une veille sur le Web dans le but de collecter et de reproduire les contenus qui traitent du candidat. Voici ci-après une cartographie de la blogosphère politique, aussi appelé blogopole par son initiateur : Guilhem Fouetillou, représentation de cette « compétition » territoriale :



D’une part, cette volonté de visibilité s’adapte au concept de sérendipité du réseau. L’objectif de cette manœuvre est de rendre quasi obligatoire, au cours de la navigation des internautes, le passage par un de ces espaces, lorsque la recherche se fait autour d’un thème proche de la campagne électorale. Puis, par un effet de concentration et de liens, l’internaute entre dans un « réseau dans le réseau », voué à la candidature, jusqu’à sa redirection vers la maison mère. Voici un schéma d’intégration d’un internaute dans une bulle sympathisante, une toile dense qui ne laisse que peu de choix pour sortir d’un maillage militant :

Une blogosphère compacte se construit, souvent à partir de blogs personnels par l’inscription de liens hypertextes à la fois dans les rubriques du blog ou dans le texte même. Ces derniers, dans la pratique indiquent régulièrement les sources de l’information. Ci-joint une modélisation de la blogophère du parti socialiste durant la campagne présidentielle.


Cet espace construit autour de ces différents types de liens, va non seulement guider l’internaute vers des sites « amis » mais il va aussi renvoyer le visiteur vers la maison mère, point central du dispositif. La création de ces liens à destination du « vaisseau amiral » va à la fois créer du trafic sur celui-ci et permettre de se placer dans une seconde bataille de territoire, celle des moteurs de recherche. Celle-ci s’instaure entre autre sur Google. 80% des internautes français utilisent Google et les moteurs de recherche représentent près de 60% des points d’entrées sur le réseau. Les analystes appellent la hiérarchisation des requêtes de ce moteur la googlearchie. Cela consiste donc pour les équipes de campagne à installer la maison mère suffisamment haute dans les réponses qu’apportera le moteur pour toutes les requêtes concernant les thèmes de campagne, sachant qu’une part importante de ce classement – pagerank - se fait par la « reconnaissance des pairs », le nombre de liens qui seront pointés vers le site. Ci-jointe, la modélisation des liens « entrants » à destination de la maison mère socialiste, http://www.desirsdavenir.org/.



Cette Toile est néanmoins une structure décentralisée. Il ne se compose pas de blogs ou de sites « chartés », officiels. Les contenus sont propres à chaque nœud de ce réseau. Ils peuvent traiter de sujets diverses et de certaines passions telles que le sport, les sujets de société, la technologie, la décoration, la mode, la musique (…). Il est d’ailleurs souhaitable stratégiquement que ces blogs ne parlent pas uniquement de politique, car ces contenus libres et parfois « décalés » offrent une multitude de points d’entrées au maillage militant.
Théoriquement, la densité d’Internet implique à l’internaute de choisir une requête en fonction de son affinité ou de ses recherches. Il se destine donc à se projeter dans un univers qui le concerne ou qui lui ressemble. Les contenus différentiés du troisième cercle, de part la nature du comportement éditorial des sympathisants, favorisent l’identification. Il a donc, au delà de la fonction de redondance des messages, une fonction de conviction à destination de nouveaux « bienveillants».

Les WEBDOCTORS doivent tenter de coordonner, de nouer les liens, d’intégrer les initiatives personnelles à une opération de communication politique et donner du rythme à l’ensemble. Bref, ils ont fonction d’animation de ces communautés de pratiques, vouées au candidat.

4. Animer la blogosphère sympathisante

a. Identifier l’ensemble des activités sur le réseau

Pour pouvoir mobiliser un espace, il faut d’abord le connaître et avoir identifié l’ensemble des initiatives susceptibles de participer à une blogosphère militante et créer une base de données de contacts : nom, adresses de blog, adresse mail, numéro de téléphone (...). Les initiatives de soutiens sont de deux formes. D’une part elles peuvent être une conséquence d’un engagement militant dans un parti politique, de membres qui ont une carte et se rendent régulièrement aux réunions. En ce cas, les « chefs de sections » ont le rôle de faire remonter l’information ou de les mutualiser sous forme de liens sur un blog que l’équipe de campagne pourra ensuite facilement intégrer à sa base de donnée. D’autre part, elles sont parfois l’œuvre de sympathisants isolés. Ainsi, les WEBDOCTORS auront à charge de mettre en place une veille et de prendre contact avec chacun afin de les introduire dans l’organisation générale.

b. Créer des systèmes de communication Interne décentralisés

Une fois identifiés tous les intervenants, il s’agit pour les équipes de campagne de mettre en place les systèmes de communication entre les membres afin que les communautés de pratique puissent s’épanouir. Les fonctionnalités de mobilisation sont inscrites sur des sites Internet ouverts à tous, lieu de médiation entre les cybermilitants et l’équipe de campagne ou sur des plateformes de blogs spécifique[12]. Selon les stratégies, il est possible d’intégrer cette fonction à la maison mère ou de créer un support spécifique. Pour exemple, Ségolène Royale qui avait comme stratégie de placer l’internaute au cœur de son vaisseau amiral l’avait intégré à son site Désirs d’avenir. En revanche, lorsque le site principal est centré autour du candidat, les équipes ont plutôt opté pour la création d’une nouvelle plateforme, publicisée par la maison mère. C’était notamment le cas des sites « e-soutiens.bayrou.fr » ou « supportersdesarkozy.com » durant la campagne présidentielle. Tous ces sites avaient néanmoins des fonctions communes.

Organiser les communautés de pratique en ligne
L’intérêt individuel est au cœur de la démarche des internautes. D’un côté, les Webdoctors impulsent des instruments « incentive » pour motiver les militants : nomination de chefs d’équipes, invitations personnalisées aux événements, réunions régulières au QG du candidat…D’un autre côté, ils poussent à la reconnaissance des autres autorités de la communauté en incitant à inscrire des liens propres à la blogosphère du candidat sur les différents blogs.

Mise à disposition de contenus adaptés aux trois typologies de comportement éditoriaux
Les espaces à l’attention des cybermilitants mettent à disposition des passeurs, filtreurs et interprètes des outils militants : d’une part, des supports visuels pour agrémenter les sites et les blogs : bannières animées, widgets aux couleurs du prétendant
[13], photos, affiches (…), et d’autre part, des éléments textuels nécessaires aux « filtreurs » et « passeurs » : programme, argumentaires de réponse à l’actualité de la campagne, discours, articles de presse (…).

La fonction agenda
Transposition du tract sur l’espace numérique, la fonction agenda est commune à tous les nœuds du troisième cercle. Chaque blog a pour vocation de mobiliser de nouvelles forces sur le terrain, et donc d’intégrer les dates des événements de la campagne. Les blogueurs trouvent ces ressources sur le site de mobilisation ou par la mise en place de flux RSS émanant directement du site officiel.

Mise en avant des « bonnes pratiques »
Les meilleurs initiatives individuelles sont mises en avant sur le site des sympathisants afin d’encourager tous les membres à faire progresser leurs outils et à créer des liens au sein de la blogosphère partisane.

Inciter les rencontres

Internet est un outil relationnel et décentralisé. L’engagement est pour sa part territorial. Les sites servent la formation de groupes répartis sur le territoire, des comités de soutien « indépendant ». Souvent, on trouve des instruments de géolocalisation, des cartes, accessibles à tous, présentant les différentes communautés de pratique et les contacts afin d’offrir la possibilité aux internautes de trouver les relais d’un éventuel engagement de terrain. Les WEBDOCTORS et les militants locaux organisent ensemble les moyens de séduction sur les territoires : réunions, meeting, tractage …

Insuffler le rythme
89% des internautes sont des passeurs. Les WEBDOCTORS doivent donc donner l’impulsion éditoriale à ces communautés. Ils utilisent pour cela une communication personnalisée et directive afin d’obtenir des mouvements de masse durant la campagne. Des messages comprenant argumentaires, lieux et forum de discussions stratégiques sont régulièrement envoyés aux personnes inscrites sur les bases de données de ces sites. Voici pour exemple un e-mail de l’équipe de Ségolène Royale durant la campagne présidentielle à destination des cybermilitants :

"Bonjour à tou(te)s, et bienvenue dans la net-campagne de Ségolène Royal

Vous avez choisi de vous engager en tant que 'colleur d'affiches du net'. Vous êtes le fer-de-lance de la campagne en ligne. Au même titre que le 'militant colleur d'affiches traditionnel' (qui colle des affiches, distribue des tracts, prend la parole en public ou auprès de son entourage) vous ferez connaître les propositions de votre candidate. Votre mission : rappeler les faits, rétablir l'exactitude de ses propos face à ceux qui les déformeront, débattre et argumenter sur les espaces publics du net (forums, articles, blogs).Voici un nouvel 'appel à coller' : stopper l'intox sur le dossier 'Violences conjugales'.Merci pour votre engagement. A vos claviers!x & xx pour la coordination des 'Colleurs d'affiches du net'.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------APPEL À COLLER du 25/01/06 :
" Violences conjugales".Plutôt que de débattre projet contre projet, l'UMP semble préférer la disqualification, la rumeur et la diffamation. Tout au long de la campagne votre candidate aura besoin de votre soutien pour ramener le débat sur des questions de fond.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------CONTEXTE
Lors d'un débat à Roubaix, vendredi 19 janvier, Ségolène Royal a répété que les violences contre les femmes constitueraient une priorité de son gouvernement. "La première loi que je ferai voter sera consacrée à ces violences", a-t-elle déclaré après avoir entendu le témoignage d'une participante victime de son compagnon. La porte-parole de l'UMP, Valérie Pecresse, a aussitôt dénoncé l’ignorance injustifiable et inexcusable" de Ségolène Royal. "Elle ne sait pas que ce dispositif d'éloignement a été mis dans la loi par les gouvernements Raffarin et Villepin", a-t-elle ajouté en faisant référence à deux textes : la réforme du divorce de 2004 et la loi du 4 avril 2006 "renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple".
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AXE À DÉVELOPPER

1- C'est aux sénateurs socialistes que l'on doit les volets "prévention & répression des violences conjugales" des lois votées en 2004 & 2006.

2- La situation reste grave (une femme sur 10 victime de violences, un décès tous les 3 jours) en partie parce que les dispositions de loi ne sont pas appliquées faute de travailleurs sociaux (ces fonctionnaires dont le projet UMP prévoit de ne pas assurer le remplacement lorsqu'ils partent à la retraite) ; mais aussi parce que :

3- la loi, qui exige le dépôt d'une plainte par la victime elle-même, reste manifestement insuffisante ;

4- Le projet UMP ne contient aucune proposition sur les violences faites aux femmes."Ce qui est clair c'est que la loi est insuffisante. Je déplore les polémiques politiciennes sur les violences faites aux femmes. J'ai voté la loi actuelle, c'est une première étape. Mais, manifestement, compte tenu de l'atrocité des chiffres réels (...) il va falloir régler ce problème.""Pour que le mari violent soit écarté, il faut que la femme, la mère porte plainte. Les femmes ont souvent peur de le faire parce que si elles portent plainte, les coups sur elle peuvent redoubler", a fait valoir l'ancienne ministre de l'Enseignement scolaire.
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LES ENDROITS OÙ DÉBATTRE
Forums : RMC, RTL, Forum Présidentiel de France 2, Le Monde, Liberation, L'Express

Blogs aitre Eolas "Faut-il revoter la loi du 4 avril 2006 », Loic Le Meur
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Nous vous invitons à consulter et à respecter la charte de bonne conduite Néthique disponible sur wiki.nethique.info "

Ces messages adressés aux blogueurs sont quotidiens. Ils sont inscrits sur les sites de mobilisation ou envoyés sous forme d’e-mail et de SMS. On peut remarquer que les espaces des médias traditionnels sont une cible essentielle des passeurs. Premiers réflexe informatif sur le Web, ces sites accordent aujourd’hui une place, après chaque article, pour les commentaires. Ils sont ainsi désormais les réceptacles des « conflits » militants durant les campagnes.

Institutionnalisation des blogueurs influents
Le Web2.0 s’organise peu à peu autour de leaders des mouvements participatifs et citoyens. Les sites des blogueurs influents sont des lieux de trafic reconnus par leurs pairs et passages obligés de tous les internautes convaincus. Les médias également observent de prêt les mouvements et les contenus de ces nouveaux concurrents. Ces derniers, interprètes, expriment leur vision personnelle de l’actualité et donc des campagnes électorales. Cette année 2007 a été l’occasion de percevoir une volonté des communicants politique d’intégrer ces blogueurs dans le circuit conventionnel de l’information. Ainsi, ils s’assuraient d’une maîtrise supplémentaire sur des contenus indépendants et menaient une campagne de séduction à l’endroit du Net. Interview des candidats, cartes de « blogueur » et accès presse, ces citoyens ont été élevés au rang de journalistes, institutionnalisés. L’objectif des équipes de campagne était simple. Certains blogueurs n’ont ni l’expérience ni le recul des journalistes. Ils deviennent donc rapidement relais affectifs d’une communication officielle, un soutien non négligeable à la structuration des Netcampagnes.

Adapter les sites officiels aux retours et aux « bonnes pratiques » du Web
Prendre la mesure des demandes qui émergent du Web pour faire régulièrement évoluer les outils principaux de la Netcampagne est un marqueur interactif essentiel à la reconnaissance du travail des blogueurs sympathisants.

La Netcampagne doit accompagner le mouvement de cristallisation de l’adhésion à un candidat par les sympathisants de plus en plus nombreux au fil de la campagne. Les moments et les formes de mobilisation évoluent à l’approche du scrutin. Chacune des équipes a alors développé les outils selon une chronologie particulière.

c. La chronologie de la mobilisation

Informer, échanger, faire adhérer et mobiliser sont les quatre objectifs de communication d’une Netcampagne. Le plan de communication les intègre selon une chronologie adaptée à la mobilisation des médias et des citoyens. Dans le langage des communicants, la bascule d’un bienveillant en sympathisant s’appelle la cristallisation du vote. Au regard de la baisse des affiliations partisanes, cette cristallisation s’opère de plus en plus tard. Malgré la très forte médiatisation durant les mois de campagne, une semaine avant l’échéance électorale des présidentielle de 2007, 40% des français évoquaient leur indécision quant à leur choix de vote. Dans le cadre d’une campagne à montée progressive en puissance, les partis doivent être en mesure de mobiliser jusqu’au dernier moment, et de plus en plus visiblement.

Durant toute la pré-campagne, la répartition des temps de parole des candidats dans le médias, organisé par le CSA, s’appuie sur une image de leur influence. Les grands partis profitent ainsi de leur exposition pour faire cavalier seul et pour prendre le temps de la sensibilisation. Tout le travail accumulé pendant ces mois d’omniprésence doit pouvoir se prolonger sur le Net, au regard des nouveaux « indécis », pendant la campagne officielle. Inversement, le Web constitue le principal moteur de la communication des partis qui n’ont pas accès aux grands médias durant la pré-campagne.

La deuxième phase débute un mois avant les scrutins et représente un moment d’équilibre médiatique des temps de parole entre tous les prétendants. L’énergie des équipes des partis de gouvernement doit donc davantage se concentrer sur les outils du Web afin de prolonger le dialogue entretenu avec les sympathisants. Les e-mails et les SMS se font plus réguliers et plus incitatifs à l’action militante. Plus le jour de l’élection approche, plus la mobilisation sur le terrain se fait sentir par la mise en place, sur les sites, de propositions d'actions quotidiennes à mener : appeler un proche pour lui vanter le programme, aller tracter devant une école dans un quartier qui n’est à priori pas destiné à voter pour le candidat, organiser une réunion avec des amis à peu convaincu …

La semaine avant le scrutin est une semaine importante du dispositif puisqu’elle voit se figer une opinion publique indécise jusqu’alors. Non seulement, les stratèges ont pris garde à ne pas user de tout leur temps dans les médias traditionnels pour avoir un peu de visibilité à ce moment clé, mais les appels à la mobilisation pour aller voter et défendre les couleurs du candidat émergent sur le Net. Cela peut même parfois prendre la forme d’opérations de communication particulières. L’équipe de Nicolas Sarkozy avait par exemple mis en place « 72 heures pour convaincre », une campagne de mobilisation de tous les adhérents sur le terrain et sur le Web afin de finir d’interpeller les indécis.

Enfin, suite au premier tour s’engage une nouvelle campagne. Tous les supports de communication se voient transformés en fonction des résultats de l’élection. Les sites Web ne sont pas en reste. En effet, il est facile de créer très rapidement une plate forme à destination des nouvelles cibles. Par exemple, au cours de l’entre deux tours de la présidentielle de 2007, la cible majeure des deux candidats en lice était l’électorat centriste et internaute de François Bayrou. Toute la communication, durant quinze jours allait dans ce sens. Ségolène Royale avait opté pour un débat télévisé avec le leader de l’UDF. L’UMP avait quant à elle préféré instaurer un site Internet spécifique : le débat UDF-UMP, mettant en scène argumentaires et témoignages.

Tous ces espaces de mobilisation ont très bien joué leurs rôles durant la campagne présidentielle, notamment auprès d’un public jeune et internautes investis. La « Ségosphère », plateforme de blog du mouvement socialiste, avait réussi le pari d’intégrer toutes les forces du MJS – Mouvement des jeunes socialistes – et de nombreux sympathisants. Nicolas Sarkozy, quant à lui, avait réunit près de 339 000 adhérents, 270 000 supporters autour de 2900 équipes réparties sur tout le territoire. Ces chiffres dépassent ceux des adhérents à l’UMP. Ces sites ont ainsi permis pour une part de relever le défi de l'assimilation des néo-militants aux partis politiques. Malgré le fait qu’ils n’aient pas réintégré les « déçus de la politique », ils ont impulsé une démarche sur le terrain aux publics sympathisants qui n’avaient pas trouvé jusque là la forme adéquate à leur volonté de mobilisation.


[1] in. Le cinquième pouvoir, Thierry Crouzet, bourin éditeur, 2007
[2] http://www.blogforamerica.com
[3] Porto Alegre a tué Davos, Pascal Boniface, Directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, http://www.iris-france.org/Tribunes-2003-11-10.php3
[4] Loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République ; Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et circulaire d’application du 27 mars 2002.
[5] cf. Les internautes et la politique, TNS SOFRES, mars 2007
[6] cf. Sous le régime des communautés : Interactions cognitives et collectifs en ligne, Claire Charbit et Valérie Fernandez, GET-ENST Paris, septembre 2003.
[7] In. Réseau social, réseau et communauté à l’ère d’Internet, Andrée Fortin, 2006
[8] in. Baromètre IPSOS, janvier 2007
[9] cf. Chapitre I, l’influence du Web sur les sondages
[10] in. guide Net Recherche Véronique Mesguich et Armelle Thomas, Editions ADBS
[11] cf. Cultivating Communities of Practice, Etienne Wenger, Harvard business School Press, 2002
[12] Exemple des plateformes Ségosphère (PS), hautetfort ou Blog Militant (UMP)
[13] Elément graphique utilisé pour l'interface homme machine, comme par exemple un bouton ou une liste déroulante.

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